Interview avec Marc-Antoine Coulon
Votre parcours artistique a débuté très tôt, dès l’âge de deux ans, et vous citez René Gruau comme une influence majeure découverte à quatre ans. Comment cette fascination précoce pour l’illustration de mode a-t-elle façonné votre style unique, que vous décrivez comme glamour, intemporel, mais parfois insolent ?
- C’est toujours difficile de parler de son propre style ; un artiste se fie beaucoup à son instinct. Ce que je peux dire, c’est que très jeune j’ai su que le trait devait être beau. Le style m’a toujours semblé plus important que le message. Si votre style est quelconque, personne n’aura accès à ce que vous voulez exprimer. Et un style se nourrit de toutes les rencontres artistiques que l’on fait. Celles de l’enfance marquent durablement. Quand on est enfant, on est très fortement impressionné par les émotions artistiques. Plus tard, ce qui différencie les artistes des autres adultes, c’est cette capacité enfantine intacte de s’émerveiller pour la beauté d’un trait, et de vouloir l’intégrer à sa vie.
Vous avez collaboré avec des maisons de luxe comme Dior, Chanel, et Van Cleef & Arpels, ainsi qu’avec des magazines prestigieux tels que Vogue et Madame Figaro. Comment adaptez-vous votre approche artistique pour répondre aux attentes de ces différents univers tout en préservant votre signature visuelle ?
- Je mets toujours un point d’honneur à proposer quelque chose de différent pour chaque projet. C’est aussi parce que j’aime me surprendre moi-même. J’aime élargir sans cesse mon terrain de jeu. Quand vous êtes présent très longtemps dans un média, le risque c’est qu’on vous identifie à un style particulier, qu’on vous restreigne. Je mets donc beaucoup d’énergie à montrer des choses différentes, pour ne pas me sentir enfermé. Ce sont ma sensibilité et mon émotion qui donnent une cohérence à mon travail. Tout ça doit être joyeux, vivant. Il faut bouger beaucoup pour ne pas se faire attraper...
Votre travail pour Madame Figaro lors des Fashion Weeks, où vous réalisez une trentaine de dessins en trois jours, est souvent comparé aux Jeux Olympiques. Quels défis rencontrez-vous dans cet exercice intense, et comment choisissez-vous les looks à illustrer parmi une liste restreinte de défilés ?
-Pendant les fashion week, j’ai trois jours pour rendre une cinquantaine de dessins. La plupart du temps, c’est moi qui choisis les tenues que je dessine ; c’est une lourde responsabilité, et je dois me faire violence pour garder la tête froide, conserver un esprit d’analyse, et tenter de repérer les tenues les plus marquantes de chaque collection. Après chaque défilé, je fais un premier choix, que j’affine progressivement en fonction de l’intérêt graphique des tenues. Je griffonne sur un carnet, pour tester l’aérodynamique de chaque tenue, et j’élimine celles qui ne fonctionnent pas. Si une robe est réussie, elle se dessine facilement ( ce qui ne veut pas dire rapidement). C’est rare qu’une robe qui ne donne rien en dessin soit un succès.
Votre collaboration avec Renaud Pellegrino pour personnaliser des sacs avec vos portraits a marqué les esprits. Qu’est-ce qui vous a inspiré dans ce projet, et comment avez-vous abordé le défi de transposer vos illustrations sur un support aussi unique qu’un sac rigide ?
- J’adore Renaud, et nous avions tous les deux très envie de travailler ensemble. J’avais fait quelques images publicitaires pour lui et nous nous étions beaucoup amusés. Nous avons fait les minaudières en deux temps : d’abord au milieu d’autres artistes, puis juste Renaud et moi. Enfait je n’ai pas transposé mes illustrations sur ce support particulier, je les ai conçues spécialement. Aucun support n’est impossible, en fait. Parfois ça demande d’utiliser des outils différents ou d’accueillir des effets différents.
En 2021, vous avez participé à l’émission 20h30 le dimanche sur France 2, où vous croquiez les invités en direct. Comment était-ce de travailler sous pression télévisuelle, et qu’avez-vous appris de cette expérience sur votre propre processus créatif ?
- C’était très excitant ! Mais aussi épuisant ; comme le plateau était immense, je ne pouvais pas voir précisément les visages des invités. Donc il fallait que je m’entraine pendant 3 jours avant l’émission pour que leurs visages me viennent naturellement au bout du pinceau. C’est comme si j’avais appris leur visage par coeur !!! Mon intervention ne durant que 20 minutes, j’ai dû apprendre à prendre des décisions rapides et efficaces, et parfois à arrêter mon trait très tôt sans avoir le temps de me poser toutes les questions que je me pose quand je dessine tranquillement à la maison.
Votre livre Reflets Catherine Deneuve, publié en octobre 2024, met en lumière une icône du cinéma français. Qu’est-ce qui vous a motivé à consacrer un ouvrage à Catherine Deneuve, et comment avez-vous capturé son essence à travers vos aquarelles ?
- Je ne sais pas si j’ai vraiment capturé son essence. Et c’est là toute la beauté de l’exercice. Comment rendre sur le papier tout ce qui nous fascine chez cette actrice si secrète ? Le livre, entre mon texte et mes dessins, raconte, montre cette tentative de m’approcher au plus près d’une étoile qui brille très haut dans le ciel.
Vous avez mentionné que votre encre Nude pour Jacques Herbin a été créée après des années d’expérimentation. Pouvez-vous nous en dire plus sur le processus de création de cette couleur et sur ce qu’elle représente pour vous en tant qu’artiste ?
- en fait c’est un mélange que j’avais mis au point pour les portraits que je faisais dans le presse. Mais je ne savais pas le faire en grande quantité. Quand j’ai raconté cela chez Jacques Herbin, ils m’ont proposé de le faire pour moi à grande échelle. C’était très stimulant. J’aimerais beaucoup, continuer cette palette de nude, pour proposer toute sorte de carnations...
Vous avez travaillé sur des projets variés, allant de l’affiche de The Fashion Freak Show de Jean Paul Gaultier à des collaborations avec des personnalités comme Melania Trump. Quel projet vous a le plus marqué personnellement, et pourquoi ?
-Tous les projets sont très forts au moment où on les vit. J’ai cependant une tendresse particulière pour tout ce que j’ai pu faire avec Ines de la Fressange. Je dois tant à Ines. Et c’est tellement joyeux de créer avec elle ; elle sait donner l’impression que rien n’est grave et qu’on s’amuse.
Votre style est souvent décrit comme un mélange de douceur et de force, avec des lignes noires audacieuses et des aquarelles délicates. Comment équilibrez-vous ces deux aspects dans vos œuvres, et y a-t-il une émotion ou un message particulier que vous cherchez à transmettre ?
- Il n’y a rien de théorisé. C’est mon inconscient qui parle. Il faut que ça « fonctionne » , et pour cela je contemple mes dessins assez longtemps. Ce sont eux qui décident s’ils sont réussis ou pas. Parfois je les cache et je ne les ressors que le soir. Car on peut s’emballer pour un dessin, quand on est encore dans l’émotion de la réalisation sans se rendre compte que quelque chose sonne faux. Il n’y a que la patience et le recul qui permettent de trancher.
En tant qu’artiste autodidacte issu d’une famille d’artistes, comment votre héritage familial a-t-il influencé votre approche de l’illustration ? Et quels conseils donneriez-vous à de jeunes illustrateurs qui souhaitent suivre vos traces ?
- Je suis le seul artiste de ma famille qui en a fait sa profession. On est forcément très influencé d’une manière ou d’une autre par ceux qui vous ont précédés. Mais dans ma famille, artiste n’était pas un métier. C’était plutôt considéré comme un des multiples talents que ‘mon se devait de cultiver dans la bonne société, comme monter à cheval, ou jouer d’un instrument de musique. Je partage beaucoup avec mon frère et je lui soumets tous mes travaux.
Quant aux jeunes illustrateurs, je leur conseille souvent de se mettre en colère contre la médiocrité picturale ambiante, de ne pas s’en satisfaire. On ne devient pas un grand artiste si on n’a rien à apporter au monde dans lequel on vit, si on se contente de faire ce qui existe déjà.